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V e r s e
Plasticienne
Les Draps
Photographies Émulsion argentique sur toile et papier vélin. d'après
sculptures. 300 Draps de plâtre numérotés qui au fil du temps entre 1992 et 2005 furent rangés en bibliothèque.
Le drap fut un objet magique dans mon enfance…
À cette époque, ma mère tenait un café-épicerie séparé par une série de présentoirs et une commande à tiroirs remplie de rubans de fils et d’aiguilles.
Fillette, il m’était facile de glisser mon petit corps derrière le meuble encombré de marchandises et de surprendre les conversations secrètes des adultes.
Bien séparés étaient le côté des femmes et le côté des hommes.
Les femmes parlaient beaucoup de leur sang et les hommes souvent silencieux, buvaient obstinément des verres de rouge.
Je pressentais que l’histoire était grave.
La morphologie de ces gens correspondait rarement à leur sexe.
Les femmes étaient costaudes et certains hommes peu vaillants voire délicats.
Sans oser bouger, j’écoutais les confidences que je ne devais pas entendre mais avec la conviction de n'enfreindre aucune loi, persuadée de mon bon droit en quelque sorte.
Ma mère, portant chaque jour un tablier blanc amidonné et passant légèrement d’un monde à l’autre m’apparaissait rédemptrice, mais pas suffisamment pour me rassurer sur la douleur de ces gens.
C’était trop rouge de part et d’autre de la commode aux rubans.
Le jour de la fête du village, mes parents tendaient des draps blancs sur les rayons de l’épicerie et sur les tables du café.
La commode était déplacée, il n’y avait plus de franche séparation entre le monde des hommes et le monde des femmes. Exceptionnellement ils se mélangeaient.
C’était au mois d’août à une époque où le soleil d'été était toujours présent.
J’ai le souvenir d’une pièce immaculée, inondée de lumière qu’aucune violence ne pouvait atteindre.
Mais le soir, après la fête, les draps étaient tachés de vin rouge et de cendre.
Quelques hommes ivres s’attardaient et si leur folie et leur déséquilibre me faisaient peur, je savais que le lendemain tout serait nettoyé car la fête durerait trois jours et que pendant ces trois jours la blancheur et la lumière par les draps pourraient renaître.
Le drap fut l’objet sur lequel enfant, je pus compter…
Verse 1992
V e r s e
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